La fascination de la bourgeoisie pour les couches les plus défavorisées de la société n’a rien de nouveau, relire par exemple Les Misérables de Victor Hugo suffit à s’en rendre compte. Cependant, en observant de plus près les tendances de ces dernières années, on a pu constater des phénomènes d’appropriation assez surprenants. Quelques exemples pêle-mêle :
- La présence de survêtements dans les défilés de grandes marques
- Des instagrammeuses qui s’affichent fièrement en Air Max Requins, LA paire de la rue par excellence des années 2000
- Gucci ou Prada qui sortent des sacs banane
- La collab Supreme x Lacoste, une collection que n’auraient pas renié les fans de NTM présents au Zénith en 98
Pourquoi la mode s’inspire-t-elle autant de la rue ? Décryptage en trois étapes !
Gentrification, quand tu nous tiens
Quel point commun entre Paris, Londres, New York ou Hong Kong ? Réponse : des loyers absolument prohibitifs qui poussent progressivement les classes moyennes à fuir les centres-ville pour s’installer dans les banlieues et les quartiers anciennement ouvriers.
Conséquence, de Brooklyn à Belleville, on voit de nouvelles populations qui s’approprient le lifestyle de la rue à travers l’argot, la manière de s’habiller ou encore via les goûts musicaux, rap évidemment en tête. Si ce genre est aujourd’hui de loin le plus écouté en ligne, ce n’est plus seulement grâce à son succès dans les quartiers mais bien parce qu’il parvient maintenant à toucher toutes les couches de la population.
En parallèle, avec l’arrivée des millenials (générations 1980-90) à des postes à responsabilité, on voit arriver de plus en plus de managers, consultants ou influenceurs en tous genres pour lesquels il n’est pas honteux d’écouter du Niska ou de porter des Air Max.
En bref, il y a d’un côté la gentrification des quartiers, et de l’autre la gentrification du rap lui-même qui laisse de plus en plus la place à des artistes issus de la classe moyenne (Drake, Lil Yachty, Orelsan ou Lomepal en France par exemple).
« Avant j’étais moche dans la tess, aujourd’hui j’plais à Eva Mendes »
Ou pourquoi les rappeurs ont la cote aujourd’hui
Si, pendant longtemps, les rappeurs étaient snobés par les grandes marques (rappelez-vous du précédent entre Lacoste et Ärsenik) et la banlieue ne représentait un vivier de talents que pour les recruteurs sportifs, là encore ces dernières années montrent un changement de regard.
Des marques créées par des rappeurs comme Yeezy ou GOLF aux États-Unis, et Unküt ou AVNIER en France sont des réussites stylistiques et commerciales qui ont prouvé au milieu de la mode que les marques issues de la rue pouvaient être crédibles, un peu de la même manière que les labels de rap indépendants l’ont prouvé à l’industrie du disque dans les années 90 (Cash Money, No Limit…).
Par effet boule de neige, les rappeurs sont aujourd’hui sollicités par les marques de luxe pour devenir leurs ambassadeurs : A$AP Rocky avec Dior, Young Thug avec Calvin Klein ou encore PNL qui s’est permis de refuser une invitation à un défilé Chanel en 2017.
L’un des témoignages les plus forts de cette nouvelle cote des rappeurs auprès de l’industrie du luxe fut la nomination de Virgil Abloh, ancien collaborateur de Kanye West, au poste de directeur artistique des collections Homme pour Louis Vuitton. Le rap et les personnes issues de la street culture définissent désormais les tendances.
La mélodie des quartiers pauvres
Ou comment l’esthétique des HLM revient en grâce
Dernier élément et non des moindres, ces dernières années marquent un certain retour en vogue de l’architecture brutaliste. Le brutalisme, c’est ce style propre aux grandes tours bétonnées des années 70 typique des cités françaises et des anciennes villes communistes d’Europe de l’Est.
Pendant très longtemps c’est un style qui a été décrié car évocateur des barres HLM des banlieues grisâtres, mais on le retrouve aujourd’hui de plus en plus esthétisé dans des formes artistiques, par exemple :
- dans des clips comme ceux de PNL ou Romain Gavras
- dans le travail de photographes issus de la banlieue comme Marvin Bonheur et dans des shootings de grandes marques
- ou encore par le biais de street artists comme Jack le Black (et ses affiches représentant les personnages du film la Haine)
Pourquoi un tel regain d’intérêt pour un style a priori laid ? Plusieurs hypothèses sont possibles. On peut notamment supposer qu’il permet aux artistes qui se l’approprient de sortir de l’image du Paris éternel d’Amélie Poulain, sorte de mythe inaccessible et galvaudé pour proposer une esthétique plus moderne rappelant les films futuristes post-apocalyptiques.
Ainsi, ces trois phénomènes que sont la gentrification des grandes villes, la nouvelle cote des rappeurs auprès du grand public et le retour en grâce de l’esthétique brutaliste sont autant de raisons pour comprendre l’engouement du monde de la mode pour la street culture aujourd’hui.
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